Nous sommes allés à la
rencontre de Maurice Chapal, petit-fils de Louis Aubin, à Crocq dans la Creuse,
à la limite du Puy de Dôme. Louis Aubin a été président de la SRHM pendant 35
ans, de 1930 à 1966. Homme savant, toute sa vie il a expérimenté de nouvelles
techniques arboricoles et a servi les intérêts des horticulteurs montreuillois.
On lui doit la photographie sur fruit dont il est l’inventeur.
Achille Louis
Aubin, tel est son vrai nom, est né à Romainville. Son père, Louis Aubin, a été
maire de sa commune (une rue lui est dédiée) et produisait déjà des fruits et
légumes. Le jeune Achille louis qui se fera appeler par la suite comme son
père, se marie à Geneviève Savart, fille d’Arthur et de Clémentine Savart.
Louis Aubin n’aura qu’une fille, Madeleine, seule rescapée d’un accouchement
difficile où la mère et la sœur jumelle de Madeleine trouveront la mort.
Madeleine Aubin épousera François Chapal, fils d’un pelletier
originaire de la Creuse, union de laquelle naîtra, le 5 février 1932, un fils
unique Maurice Chapal âgé aujourd’hui de 71 ans.
La famille Chapal
est une grande famille de pelletiers (1) dont l’activité prend son origine dans la
Creuse, région d’élevage. Cette famille exportera son savoir-faire à Montreuil
où une usine sera crée et à Bruckling aux USA.
Arboriculteur ou
pelletier ?
Le jeune Maurice a
le choix entre être fourreur comme son père ou devenir arboriculteur comme son
grand-père Louis Aubin. « Je me rappelle, tout petit, des odeurs
intenables des peaux pas encore traitées », raconte Maurice qui très
vite se détourne des pelletiers pour se passionner pour l’arboriculture au côté
de son grand père. Louis Aubin habitait au 43 rue Pépin et les parents de
Maurice au 5 rue Dombasle. C’était le quartier historique des arboriculteurs.
Maurice se rappelle très bien des familles Laurain, Sautereau, Chevreau,
Grosdidier qu’il côtoyait et dont certains étaient membres de sa famille. Les
plus grandes parcelles de Louis Aubin étaient situées entre le 244 et le 250
rue de Rosny ainsi que rue Saint Antoine. Il y cultivait essentiellement des
arbres fruitiers, pommiers, poiriers et pêchers et parfois entre les rangs de
la pivoine blanche « Mme Croux ».
Formé par Louis Aubin
Louis Aubin a
souhaité que son petit fils fasse une formation horticole et l’a inscrit à
l’école Du Breuil, très réputée déjà à l’époque. « Je ne suis même pas
resté une année car les enseignants me disaient que j’avais un meilleur
professeur chez moi et que je prenais la place d’un autre », explique
Maurice en souriant encore de cette aventure. C’est donc Louis Aubin qui se
charge de cette lourde responsabilité de former son petit-fils. « il
m’a appris à tailler les arbres, à les former, à les soigner…tout, de la taille
à la récolte », se rappelle Maurice. Louis Aubin produisait des pommes
Calville et Canada blanche et grise; des poires Comice, la Passe-crassane et
Beurré Hardy et des pêches Ansden, Belle Impériale et Alexis Lepère. La
production de fruits était importante et vendue à des mandataires dont les noms
raisonnent encore dans la tête de Maurice : Buisson, Thierry, Bouvier,
Dissoubray. Maurice s’occupait des livraisons avec la camionnette de son grand
père reconnaissable par tous à l’époque : « je partais à 21h de la
rue Pépin pour rejoindre les halles centrales de Paris et ne mettais pas plus
d’une heure ». Ces allez et venues duraient plusieurs mois. Pendant
cette période les fruits étaient entreposés dans les fruitiers familiaux
attenants aux maisons mais également dans les frigos de Bercy qui étaient loués
par Louis Aubin.
Un perpétuel chercheur
Louis Aubin se
réservait une partie de son verger pour collectionner des variétés anciennes et
celles venues d’ailleurs, apportées par des visiteurs ou rapportées de ses
voyages. Il aimait aussi s’essayer à la formation artistique des arbres. Des
photos fournies par Maurice Chapal montrent l’attention qu’il portait à la
taille de formation des arbres. Dans la lignée de ses prédécesseurs, Louis
Aubin a réalisé au même titre qu’un chef d’œuvre de compagnon, le motif de la
légion d’honneur comme l’avait réalisé au 19è siècle Alexis Lepère,
pour la gloire de Montreuil. Maurice Chapal nous raconte qu’il se rappelle
avoir vu Georges Delbard venir sur la parcelle de son grand-père pour
photographier des formes fruitières en double U encadrées et d’autres formes
complexes pour illustrer son livre « les plus beaux fruits de
France » qui sera publié en 1947. Louis Aubin est sûrement le dernier à
avoir perpétré la taille de formation dans ses vergers, dans la lignée de ses
prédécesseurs Léon Loiseau et Alexis Lepère : les photos anciennes montrent
qu’il préférait mener les arbres en Arcure Lepage plutôt qu’en cordon
horizontal et sur les murs, il déployait des formes Caussonnet et double U
encadrées, formes qui n’étaient plus courantes au 20è siècle.
« Mon
grand-père essayait de nouvelles façons de greffer, il a même inventé et fait
réaliser un outil en fente », explique Maurice
en nous remettant cet outil ancien. Dans sa recherche constante de perfection,
Louis Aubin marquait les pommes. Ils n’étaient que cinq arboriculteurs sur la
commune à pratiquer le marquage de façon importante. « Ca restait une
petite production explique Maurice, elle était destinée aux expositions, aux
cadeaux, aux présentations chez Fauchon et Hédiard ». Le marquage se
pratiquait sur pomme Api et Grand Alexandre. Seules les pommes des arbres
exposés sur les murs nord étaient marquées après ensachage. Les fruits étaient
cueillis avant d’être marqués. « On ne conservait que les plus beaux
fruits qu'on alignait dans des cagettes. Les découpes de papier étaient collées
avec du blanc d’œuf. Les cagettes inclinées étaient exposées le long d’un mur
situé au nord. On relevait les pommes marquées en fonction de la coloration
qu’elles développaient », nous confie Maurice. Ainsi, les pommes
étaient marquées pour les expositions internationales organisées par la société
nationale d’horticulture de France - Gand en 1913, Liège en 1930 - pour les
épiceries de luxe - Hédiard, Fauchon, Dupont Barbier de Trouville - pour
des établissements de prestige - le casino de Trouville, l’Hôtel Normandie de
Deauville - mais également pour des rencontres avec des personnalités :
pommes marquées pour Walt Disney lors de la rencontre avec les représentants
américains.
Louis Aubin a fait
évoluer la technique du marquage sur fruit : «les traditionnels
pochoirs découpés à l’emporte pièce se déchiraient facilement lors de la pose
sur les fruits et on préférait les pochoirs imprimés sur papier cristal »
explique Maurice. En 1898, Louis Aubin invente la photo sur fruit (voir l’article « la photographie sur
fruit » publié dans le Bulletin de la SRHM du 3è trimestre 2002).
Louis Aubin avait
bien d’autres passions. Maurice se rappelle que son violon d'Ingres était la
vigne : « la vendange passait avant la récolte des Passe
crassane ; mon grand père cultivait des cépages baco, pressait le raisin
et vinifiait lui même son vin. Mes parents consommaient son vin à table ».
Les techniques montreuilloises : palissage, lutte contre le gel et
restauration des murs
Maurice Chapal a
pratiqué le palissage à la loque. Il se rappelle avoir découpé des morceaux de
couvertures qui servaient à fixer les branches au mur à l’aide de clous. Chaque
hiver, les loques étaient retirées et bouillies afin de tuer les parasites et
enfin remises en place afin de coller les branches au mur. « Plus tard,
les loques ont été remplacées par des clous cavaliers mais ceux-ci blessaient les
arbres et les pêchers développaient de la gommose », se souvient
Maurice.
Les photos que
Maurice Chapal nous a prêtées montrent comment on protégeait les arbres du gel « à
la floraison des pêchers, lors des menaces de gel, on tendait des toiles ou on
mettait en place des vitrex, verre fin armé fixé sur cadre en bois, afin de
protéger les arbres palissés le long des murs », nous dit Maurice.
Pour fixer ces protections, des barres de métal placées perpendiculairement au
chaperon soutenaient des planches de bois afin de rallonger les chaperons et
d’accrocher les protections anti-gel.
L’entretien des
murs nécessitait de faire appel à des spécialistes à même de les redresser et
de les consolider. « On faisait appel à un italien, Mr Galli, et on se
fournissait en plâtre à Neuilly Plaisance chez Mussat », explique Maurice.
Président pendant 35 ans
Succèdant à Léon
Loiseau, Louis Aubin resta 35 années (de 1930 à 1966) président de la Société
d’Horticulture. A travers les archives de la SRHM, on connaît bien les
activités développées à cette époque. Il eu aussi d’autres
responsabilités : SNHF et Mairie de Montreuil.
Léon Loiseau et
Louis Aubin ont mené des projets conjoints. Maurice Chapal se souvient avoir
entendu dire qu’en 1930, son grand-père et Léon Loiseau étaient allés dans la
région de Frégus et de Soliespons, donner des conseils pour l’implantation d’un
verger.
Louis Aubin aimait
transmettre son savoir. Il donnait des cours le deuxième dimanche matin de
chaque mois. Ces cours était ouverts aux professionnels et aux jardiniers
amateurs, ce qui traduit sa volonté de vulgarisation auprès du plus grand
nombre.
Un homme de caractère
Homme de grande
taille, se tenant très droit et repérable à ses grandes moustaches, Louis Aubin
s’imposait par sa présence, son caractère et son érudition. Jusqu’à la fin de
ses jours il se déplaçait dans une traction. « Il était sévère mais
juste et très avenant », explique Maurice. Le deuxième dimanche de
chaque mois, Louis Aubin réunissait toute sa famille, enfants, petits-enfants
et arrière-petits-enfants, pour un déjeuner familial. « Lorsqu’on lui
proposait de nouvelles variétés d’arbres et de fruits, il partageait le fruit
en autant de convives qu’il en comptait à table afin d’avoir l’avis de
chacun », explique Claudine Chapal et de poursuivre « c’était
un homme d’une très grande intelligence, incollable quel que soit le sujet et il
a gardé cette lucidité et capacité de réflexion qui le caractérisaient, jusqu’à
la fin de ses jours ».
Une percée dans le mur
A 23 ans, Maurice
Chapal se marie avec Claudine Renard, fille d’horticulteurs montreuillois. « Nos
parcelles situées, pour Maurice au 5 rue Dombasle et pour ma famille au 36 rue
Danton, étaient mitoyennes ». La maison familiale des
Renard accueille le jeune couple qui aura, en 1958, un fils unique : Alain
Chapal. « On a percé une ouverture dans le mur pour relier les deux
jardins, ainsi nous n’avions plus besoin de sortir dans la rue pour aller d’une
famille à l’autre », sourit Claudine. Maurice et Claudine continuent à
exploiter les terres familiales et à produire des fleurs, spécialité de la
famille Renard. Jusqu’en 1968, Claudine ira vendre ses fleurs aux halles de
Paris : narcisses, tulipes (120 000 oignons plantés par an), dahlias,
chrysanthèmes, gypsophiles, soucis…
Expropriation et reconversion
L’expropriation des
terres a commencé dans les années 1962.
Louis Aubin a été
le premier de la famille à être exproprié de sa maison et du jardin du 43 rue
Pépin pour la construction du Lycée Jean-Jaurès. Louis Aubin a alors 83 ans et
trouve l'énergie de se faire construire un pavillon au 1 rue Dombasle près de
sa fille et de son petit fils. Une maison avec un petit jardin qui existent
encore. IL y finira ses jours.
En 1968, c'est le
tour de Maurice et Claudine. C’est à la même époque que le marché des halles de
Paris est transféré à Rungis. L’expropriation s’accompagnait de propositions
faites aux horticulteurs pour se réimplanter sur d’autres communes de Seine et
Marne. « Nous n’avons pas trouvé de terrain à notre goût, ils étaient
isolés de tout alors que nous voulions une école proche pour notre fils âgé de
9 ans », explique Claudine. Alors autant changer d’activité : « je
ne pouvais plus vendre nos fleurs toute seule en partant par le métro, on s’est
donc réorganisés autrement, on est devenus fleuristes à Argentan, à 200 km de
Paris, car nous n’avons pas trouvé plus près », explique Claudine,
petite femme pleine de lucidité. Déracinement, reconversion, il a bien fallu
changer de vie comme tant d’arboriculteurs montreuillois y ont été contraints.
Attaché à ses origines montreuilloises, Maurice Chapal conserve précieusement
la maison de ses parents au 5 rue Dombasle, seul souvenir de ses parents, de
son enfance et de son premier métier d’horticulteur. Attaché également à ses
origines creusoises, il a restauré une maison familiale située à Maizières près
de Crocq. Leur fils Alain a reçu le don familial de l’amour des plantes et
depuis 5 ans, d’après sa mère, il veut être fleuriste. Il a donc repris à son
compte le magasin de fleurs d’Argentan, poursuivant avec la tradition familiale.
Philippe SCHULLER
(1) Pelletier : personne
qui achète des peaux, qui les prépare et qui fait le commerce des fourrures.
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