Josiane et Michel MANNIER,
 

les derniers montreuillois
 de Rungis



Avec Claude Noël à gauche
Photos non libres de droits - contacter la SRHM
à droite, Josiane et Michel Mannier
Emilie Boucot sur son stand à Rungis



Bernard Mannier et son fils Jean-Pierre, rue rochebrune en 1950.Au premier plan les chrysanthèmes tuteurés. Au fond la maison de la famille Seilliebert
Eugénie Laurain (à gauche) aux halles de Paris
Bernard Mannier rue Rochebrune, vers 1958

Bernard Mannier et son fils Michel,
rue Rochebrune

Quelques anciens Montreuillois commercialisent encore des fleurs à Rungis. Ils ont dû tous quitter Montreuil afin de poursuivre leur métier. En 2003, nous rencontrons Josiane et de Michel Mannier, récemment retraités, qui, grâce à un reportage à la télévision sur le passé horticole de Montreuil, ont repris contact avec la SRHM.

Il est 7 heures du matin. Nous avons rendez-vous avec Josiane et Michel Mannier au café l’Etoile, en plein cœur de Rungis. C’est jeudi, le jour le plus important pour la vente. Les vendeurs sont là depuis l’aube et les principaux acheteurs ont déjà fait leur choix. Josiane et Michel ont, pendant plus de 20 ans, vendu la production familiale sur les dix mètres linéaires qu’ils louaient dans le bâtiment C1, celui consacré aux fleurs.

En retraite depuis l’an 2000, ils retrouvent avec beaucoup d’émotion leurs voisins de Rungis, leurs clients de toujours. “Oh ! quelle surprise de vous voir ici” … “Alors ça va les retraités?”… “Ça fait longtemps qu'on ne vous a pas vus” ; des mots gentils, des bises, des souvenirs s’échangent tout au long de notre parcours dans les allées du bâtiment aux fleurs. «J’adore les fleurs, c’est ce qui me manque le plus, j’en prendrais des brassées», dit Josiane heureuse de se retrouver aujourd’hui à Rungis.

Montreuillois depuis toujours

Les Mannier ne vendaient pas des fleurs par hasard, leur famille a des racines horticoles et montreuilloises à la fois. Comme l’explique Michel Mannier : «du côté des Laurain, nous sommes montreuillois depuis la nuit des temps». Sa mère, Germaine Laurain, et sa grand-mère, Mathilde Eugénie Laurain, étaient propriétaires de parcelles situées rue Rochebrune à Montreuil. Dans les années 1950, la famille était propriétaire du 17, 19 et 23 de la rue. Les trois jardins avaient été réunis, les murs abattus pour former une parcelle de 6 000 m2 d’un seul tenant. Les parents de Michel produisaient des fruits et des fleurs. A 14 ans, Michel, aîné d'une fratrie de trois, arrête ses études pour aider les parents à planter, désherber, ensacher les fruits. L’exploitation familiale emploie un salarié et, comme de nombreuses familles horticoles, jusqu’en 1953, la mère se rend tous les matins aux Halles de Paris sous les grands pavillons (Baltard) pour vendre la production de fleurs. Un fruitier attenant à la demeure familiale permettait de conserver les fruits jusqu’en mars. Les fruits étaient préparés dans des caissettes et vendus aux mandataires. Michel se rappelle de deux d’entres eux : Mascret & Collin, Décugis. La production s’organise en famille. Bernard Mannier acquiert une nouvelle parcelle à Noisy-le-Grand et se spécialise dans la production de fleurs. “En 1964, on a arraché les fruitiers à Montreuil car nous ne produisions plus assez de fruits. Nous nous sommes consacrés uniquement à la production de fleurs”, explique Michel.

 Une production avant tout familiale

Les trois fils de la famille montreuilloise s’organisent et se spécialisent avec leurs parents pour continuer la production. Michel, l’aîné, passe le permis de conduire et s’occupe du transport et de la vente avec sa mère ; Claude, le second, se spécialise dans la culture et Jean-Pierre, le cadet, se concentre sur la récolte et le conditionnement. En 1955, alors qu’il a 18 ans, Michel, équipé d’une fourgonnette, accompagne quotidiennement sa mère aux Halles de Paris et aide à la vente. Contrairement aux Montreuillois qui pour la plupart vendaient leur production au carreau des Montreuil situé rue Pierre Lescot et soumis aux intempéries, Germaine Laurain et son fils avaient trouvé une place sous les voûtes des grands pavillons, à l’abri de la pluie. «Après 1953, les horaires pour nous étaient de 16 heures à 21 heures, car les Halles étaient trop petites pour accueillir toute la marchandise et le marché tournait 24 heures sur 24, avec une plage horaire qui nous était imposée», explique Michel. Toute la production était écoulée auprès des fleuristes et des professionnels des marchés parisiens.

En 1960, Michel épouse Josiane, voisine du 34 de la rue Rochebrune. Ils s’installent au 23 dans la maison familiale, «ancienne dépendance d’un château qui aurait été là où se trouve l’actuelle poste Paul Signac», explique Michel. Leurs deux enfants naîtront sur la commune de Montreuil. Josiane aide dans les périodes de forte activité et bien que n’appartenant pas à une famille horticole, prend goût à ce métier.

Des Halles de Paris à Rungis : la grande transition

En 1968, les Halles de Paris ferment leurs portes et, le 1er mars 1969, la famille s’organise pour venir à Rungis continuer à vendre la production. «ça a été le coup de grâce des montreuillois, beaucoup n’ont pas suivi et ont cessé leur activité», explique Michel et de préciser : «les anciens âgés de 50 ans et plus ne voulaient pas aller à Rungis, ce changement a accéléré leur retraite». Michel Mannier et sa mère ont retrouvé à Rungis les familles Orschel, Boucot, Sautereau, Julliard. Mais les familles Dufour, Soliveau, Grosdidier n’ont pas suivi à Rungis. «Au début, le transporteur qui amenait les fleurs des producteurs aux Halles de Paris a continué à faire le voyage de Montreuil à Rungis, mais ça n’a tenu que deux ans; très vite il n’a plus eu de client», explique Michel. C’est essentiellement la capacité à être autonome pour pouvoir véhiculer sa production qui a fait toute la différence. «Les gens que l’on avait quitté la veille aux Halles, on les a retrouvés le lendemain à Rungis, on a retrouvé une partie de notre clientèle mais les acheteurs sans véhicule ne pouvaient plus venir», nous dit Michel. Très vite au bout de quatre ou cinq ans, certaines familles montreuilloises cessent la vente à Rungis, en partie à cause de l’âge et parce qu’à Montreuil, les terres cultivées laissent place aux nouvelles habitations.

 Un déménagement bien orchestré

En 1967, le père de Michel pressentant que l’avenir horticole de Montreuil était compromis, achète 3,5 hectares en Seine et Marne. En 1971, les trois frères et leurs parents font construire trois puis quatre maisons sur le terrain récemment acquis à Villemaréchal près de Montreau. A partir de 1972, toute la famille s’installe en pleine campagne et arrête la production à Montreuil. La parcelle de Noisy-le-grand est expropriée en 1971 et en 1975, les propriétés de Montreuil sont vendues à la Mairie. On peut imaginer la difficulté pour le père et la mère de Michel de quitter la maison familiale qui les a vus naître. Mais les liens familiaux sont forts et les parents ont préféré suivre leurs enfants et petits enfants plutôt que de rester seuls sur Montreuil. De nombreuses familles horticoles de Montreuil ont, pendant cette période, quitté la commune pour s’installer plus loin de Paris afin de poursuivre leur activité. Jusqu’en 1973, Germaine, la mère de Michel, se lève tous les matins avant l’aube pour accompagner son fils à Rungis. «Ma mère adorait le commerce», précise Michel. Sur la parcelle de Villemaréchal, l’entreprise des trois frères Mannier s’organise et se diversifie. La production sous abris-tunnels permet de commercialiser des fleurs du début du printemps au début de l’hiver. Se succèdent les tulipes, œillets, soucis, silènes, gypsophiles, phlox et roses d’inde, camomilles, matricaires, agératum puis à la fin de l’été des dahlias, asters, chrysanthèmes, statis, pied d’alouettes, chardons, gerbes d’or et achillées.

A partir de 1979, Josiane vient quotidiennement à Rungis aider son mari et pendant 20 ans, ils se lèveront très tôt le lundi, mardi, jeudi, vendredi et même samedi pour commercialiser les fleurs. “Heureusement que l’on travaillait ensemble, sinon on ne se serait pas vus”, confie Josiane. En l’an 2000, 13 ans après la disparition de leurs parents, Claude, le frère de Michel, responsable des cultures, décide de prendre sa retraite à 60 ans. Ne pouvant continuer sans lui, Michel alors âgé de 63 ans, s’arrête également bien que l’amour de son métier lui eut permis de continuer encore bien des années. Quant à Jean-Pierre, le plus jeune des trois frères, il a trouvé une place chez un commissionnaire de Rungis pour terminer les quelques années qui le sépare de la retraite. Aucun des enfants de la fratrie ne s’est décidé à reprendre l’exploitation familiale : trop de peine pour une activité dont la rentabilité est à présent discutable…

 Les derniers montreuillois de Rungis

Au cours de notre visite à Rungis, nous avons rencontré Emilie Boucot, cousine de Robert Boucot (Portrait du Bulletin de la SRHM de janvier-février-mars 2003). Elle nous explique qu’elle est partie en 1952 de Montreuil pour s’installer à Bobigny puis son fils s’est installé à Saint-Martin en Bièvre près de Barbizon. Elle vend ses tulipes et ses pensées en ce mois d’avril. Elle nous raconte quelques souvenirs de sa jeunesse vécue à Montreuil : «On partait aux Halles de bonne heure, à minuit par l’autobus au sept chemins et on rentrait vers 12 heures …».

Nous avons également rencontré Claude Noël qui fut employé chez Pernot et Orchel puis chez Albert Dufour. Cet ouvrier courageux s’est installé à son compte en 1954 à la Courneuve. Son fils à présent exploite 2,5 hectares à Coulommier Beautheil. A 72 ans, devant son stand de tulipes coupées, il nous explique qu’il produit de la tulipe depuis plus de 50 ans. Il évoque des souvenirs de sa jeunesse passée à Montreuil : «Chez Albert, l’oncle de Mme Orchel, je me souviens que l’on avait produit une pêche de 450 g. Elle avait été vendue avec sa branche au Bon Marché…on produisait des Passe Crassane de plus d’un kilo, elles étaient bonnes...». En quelques phrases, cet homme nous semble avoir une très grande expérience de l’horticulture. «Le matin à 4h, je préparais les cageots. Il m’arrivait de me lever à minuit pour mettre les paillassons sur les chrysanthèmes pour ne pas qu’ils gèlent. On mettait également les fleurs de chrysanthèmes en sac, je me rappelle de la "Lapiche Jaune"…on faisait du marquage sur" pomme d’api ", on brossait les pêches et on les plaçait sur des feuilles de vigne».

Combien de temps encore tiendront les quelques Montreuillois qui restent à Rungis ? Les clients ne se bousculent plus, la concurrence des autres pays et la livraison directe chez les fleuristes qui n’ont plus besoin de se déplacer sur Rungis auront raison de ce petit commerce de la région parisienne. Les jeunes horticulteurs que nous avons rencontrés savent bien qu’ils ne feront peut-être pas ce métier toute leur vie comme les anciens l’on fait...

 Magalie Cayon