C'est
le cas pour Claude-Mary (1865-1943), le
grand-père de Maryse, qui disait à ses
petits-enfants : "quand
je suis arrivé à Montreuil, je n'avais rien et
c'est ma sœur qui m'a d'abord hébergé.".
On sait que la population de Montreuil se
renforce, au 19è et début du 20è siècle, de
beaucoup de personnes venues de l'Yonne et de
Bourgogne ... nécessité d'aller chercher le
travail où il se trouve, près de la capitale,
avec la possibilité de garder son métier de la
terre, et la notoriété de Montreuil attirait du
monde.
En
1888, il se marie avec Jeanne-Euphrasie Berson.
Les
Berson font partie des familles célèbres à
Montreuil et des liens de parenté les unissent à
d'autres familles connues : Jean, le frère de
Jeanne-Euphasie, a épousé une Savard (Félicie,
née en 1865) Et la grand-mère de notre président
d'honneur André Patureau est aussi une Berson
(Pauline, née en 1879).
C'est
probablement après son mariage que Claude-Mary
rejoint Montreuil, "sans rien", comme il le
disait, ... sauf son outil de travail, son tour
à bois, car il est charron et agriculteur comme
son père.
Il
s'installe bientôt dans une maison au 30 rue de
Rosny et achète petit à petit des terrains
cultivables un peu partout dans Montreuil : rue
des néfliers, rue Paul Signac, rue de la ferme,
rue des bacottes, rue Saint-Antoine, rue du
moulin de la tour (actuelle rue de la nouvelle
France). Parmi les vendeurs, des noms familiers
à Montreuil : les Savart, Préaux, etc. Par un
travail acharné, il constitue un patrimoine qui
lui permettra de s'assurer une vieillesse
confortable.
Comme
tous les agriculteurs de Montreuil, Claude-Mary
cultive des arbres fruitiers et des fleurs, des
gypsophiles, dahlias, chrysanthèmes, œillets,
lilas, et vend sa production aux Halles de
Paris.
En
1910, il achète une maison au 24 rue Danton,
puis au 23 et c'est son fils Eugène, qui occupe
le 24.
Eugène
(1894-1956), le père de Maryse, prend le relais
de l'exploitation, se marie avec Gabrielle
Lefèvre (1900-1956), fille de maraicher
montreuillois, et travaille aussi à mi-temps
comme fontainier pour le service des eaux.
Au
foyer, c'est Gabrielle qui "tient les rennes" et
s'occupe principalement de l'exploitation. la
petite Maryse nait en 1930. "on
dit
que je suis née dans un panier de narcisses, car
mamère en cueillait au moment où elle a
accouché".
Dès
sa
naissance, Maryse est confiée pendant deux ans à
unetante qui habite à la frontière belge ... "le
travail ne laissait probablement pas de temps
pour s'occuper des enfants. Il était courant, à
l'époque, de confier les enfants à des
nourrices",
dit Maryse.
"Ma
mère était une maîtresse femme, autoritaire.
C'est elle qui surveillait nos devoirs et
s'occupait de nous. Certains se souviennent
peut-être
encore
de l'avoir vue emmener des groupes d'enfants à
la piscine, jusqu'à soixante en même temps. Nous
allions à la piscine de la "butte aux cailles",
dans le 13e arrondissement de Paris, et on
entendait son sifflet de loin !
"
Mon enfance ? ... on passait nos soirées d'hiver
à préparer des sacs pour ensacher les fruits.
D'abord on coupait les deux coins du bas en
biais pour que l'eau puisse
s'écouler si elle rentrait à l'intérieur du sac.
Puis on froissait le sac, on lui donnait une
forme et on passait l'élastique en haut.
Ensuite, on rabattait la collerette. On les
empilait par paquets de cent. Ma mère était
experte, capable de poser mille sacs à l'heure!
Elle prenait dix sacs d'un coup et les enfilait
sur les fruits l'un après l'autre à la vitesse
de l'éclair.
J'aimais
bien quand on me disait d'aller cueillir des
œillets, ça sentait si bon !
Mais il fallait
aussi préparer les cagettes pour vendre les
fruits aux halles. On
mettait d'abord une feuille de papier au fond,
puis une couche de frison et du papier de soie
par dessus. Sur les cotés, encore du papier de
soie plié en quatre.
On
allait dans le fruitier où les fruits étaient
stockés sur clayettes pour choisir les plus mûrs
et on les plaçait dans la cagette. On ajoutait
du papier de soie plié en quatre entre chaque
rangée, et dans l'autre sens on plaçait un petit
galet rond fait d'un bourrelet de papier de soie
entre chaque fruit.
Ensuite,
on protégeait dessus, comme pour le dessous et
on fermait la cagette qui partait aux halles.
Les fruits étaient vendus par cagettes,
notamment à de grandes épiceries.
L'hiver,
mon
père laissait une lampe de 100 Watts allumée
dans le
fruitier ... ça suffisait à maintenir les fruits
hors gel.
Les
fleurs, elles, étaient placées dans de grands
paniers, et c'est un gars de Rosny qui
récupérait les paniers de tout le monde et les
emportait aux halles. On retrouvait nos paniers
là-bas.
On
faisait aussi le rond à la Montreuil, une
présentation pour les pêches et les pommes,
toujours avec du papier de soie et du frison. En
général le rond n'avait qu'un seul étage, mais
parfois on faisait une petite pyramide. On
emballait le tout dans un papier blanc aux
angles relevés et rassemblés. Cette présentation
servait pour offrir.
Toute
cette partie là, c'est ma mère qui s'en occupait
ainsi que de la taille des pommiers. Mon père,
lui, s'occupait de la taille des autres arbres
fruitiers. Il faisait aussi du marquage, mais
très peu, juste pour quelques cadeaux. Ce
n'était pas pour les marquer qu'on ensachait les
fruits ; avant tout, c'était pour les protéger
des maladies et des insectes ravageurs.
Dans
le bas de la rue Danton, il y avait une
coopérative. On y trouvait tout le matériel dont
on avait besoin, y compris les pochoirs.
A
l'époque, on avait pas de liberté comme
maintenant. Ma mère m'accompagnait partout. Au
mois de mai, on allait cueillir du muguet à la
mer de sable ou à Gretz. Si j'allais au bal, ma
mère était là pour me surveiller. J'avais des
prétendants, mais, à ses yeux, ce n'était jamais
le bon ! L'un avait fait les beaux-arts, un
autre était sculpteur ..."ce n'est pas un
métier, çà" disait-elle. Quand j'avais vingt
ans, elle ouvrait encore mon courrier, ce qui
lui permettait d'avoir les adresses pour
répondre à mes prétendants et les éconduire.
Mais
la piscine m'a porté chance. C'est là que j'ai
rencontré mon mari, et il a trouvé grâce aux
yeux de ma mère. Pourtant, nous avions participé
ensemble à un relais en piscine et nous étions
partis dans le sens opposé ... "ces deux là, ils
ne sont pas près de se rencontrer", avait-on dit
!
Dans
les années 50, Gabrielle tombe gravement malade.
Son mari Eugène ne peut pas gérer seul
l'exploitation mais son fils ainé, René, a déjà
choisi une autre voie et sa fille Maryse
consacre tout son temps à soigner sa maman.
Eugène
privilégie alors son travail de fontainier et
vend petit à petit une partie de ses biens.
Gabrielle
décède en 1956, suivie de près par Eugène la
même année.
L'aventure horticole des Mouloize s'arrête avec eux.
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