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LA FAMILLE VASSOUT
le sens de la tradition

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Jean Vassout et son épouse
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Photos non libres de droits.
Contacter la SRHM
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Roger Vassout et son fils Fabien
| Le café de l'arrière grand-père Vassaux
à Reims
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Charles, Louis et leur mère Joséphine, au mariage
d’Alice Vassout - 1910 |
Charles, Jeanne et Roger, en 1915 |
L'oncle Léopold vers 1910 | Charles, Jeanne et leurs enfants,en vacances à Berck plage en 1931 |
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Jean, Geneviève et Jeanne au 6 rue Franklin à Montreuil, en 1934
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Louis et Jean en 1931,
à Montreuil, 6 rue Franklin
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Louis Vassout
| Charles Vassout
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INTERVIEW DE JEAN VASSOUT
Aujourd'hui, sur le carreau des producteurs de Rungis, le
nom de la famille Vassout a été remplacé par la marque "Vassout
Fruits". Un label de qualité pour ces poires Comice et ces pommes,
produites en Yvelines et en Essonne, qui comptent parmi les meilleures de
l'Île-de-France.
Les origines de la famille Vassout se situent à Romainville
et remontent à l'an 700 où le nom est cité dans le testament de Dame
Ermenthrude. Cette famille de viticulteurs fut une des plus importantes de
Romainville et au XVIIIè siècle elle compte 150 personnes, soit 27% des
habitants de Romainville. Rien d'étonnant donc que la famille ait donné son nom
à une rue et un lieu-dit, le "trou Vassout", où paraît-il, on jetait
autrefois les animaux morts.
L'histoire de la famille Vassout est une véritable saga.
Elle est aujourd'hui encore totalement inscrite dans cette tradition
montreuillloise de recherche insatiable du beau fruit. En 2004,âgé de 78 ans,
Jean Vassout nous raconte son enfance à Montreuil, le départ pour Gambais et la
recherche acharnée de son père et de lui-même pour l'innovation agricole.
Les Vassout furent bien sûr présents au sein du Bureau de la
société d'horticulture et du syndicat des cultivateurs de la Seine où ils ont contribué
au développement de l'horticulture montreuilloise sous l'impulsion de Léon
Loiseau.
Léopold Vassout, le grand oncle de Jean Vassout, fut
trésorier-adjoint de la société d'horticulture de Montreuil de 1894 à 1922. Il
fut aussi le trésorier du syndicat des cultivateurs de la Seine, présidé par M.
Désiré Vitry, de 1891 à 1904. Le 19 février 1905 il succèdera à Mr Vitry comme
président du syndicat des cultivateurs de la Seine jusqu’au 10 mars 1910. Il
fut aussi maire-adjoint de Montreuil en 1904 sous la municipalité de Léon
Loiseau. Voici l'histoire d'une des plus grandes familles de cultivateurs de
Montreuil. Une histoire exceptionnelle de longévité car aujourd'hui c'est
Fabien Vassout, 30 ans, qui reprend peu à peu le destin de l'exploitation de 35
hectares sous le regard de son père Roger Vassout et de son grand oncle Jean
Vassout.
La naissance à
Montreuil
Jean Vassout, est né le 27 septembre 1926 à Montreuil au 6
de la rue Franklin. La maison n'existe plus, remplacée par une résidence, juste
à côté du plombier Grégoire. Il est le quatrième enfant de Charles et Jeanne
Vassout. C'est le 14 janvier 1914 que son père se marie avec Jeanne Fischer, la
jolie fille d'un cafetier de Romainville. “A
cette époque mon père habitait encore à rue Baudin à Romainville. Il allait au
café du coin boire une limonade et puis voilà… pourtant ma mère s'était juré
qu'elle n'épouserait jamais un client du café”. Six mois après leur mariage
le 2 août 1914, Charles Vassout est mobilisé. Le premier enfant du jeune
couple, Roger, naît pendant la guerre mais hélas son père ne le verra qu'une
seule fois lors d'une permission en 1915 puis il sera fait prisonnier en 1916.
Seules les photos prises à cette occasion gardent le souvenir du petit frère
disparu à 3 ans en 1917 de la grippe espagnole. Le second fils, Louis, naîtra
en 1920 puis ce sera Geneviève en 1923, Jean en 1926 et Gérard, le petit
dernier, en 1934.
Les grands parents
Les enfants de Charles Vassout n'ont pas connu leur
grand-père, Edouard-Eugène Vassout (1860-1899), car il est mort alors que ses
deux fils n'avait que respectivement que 12 et 9 ans. Edouard-Eugène Vassout
était arboriculteur et à sa mort, c'est sa femme, Joséphine Vassout, née Capet
(1863- 1933), qui reprit en main l'exploitation avec ses deux jeunes fils :
Louis né en 1888 et Charles né en 1890.
En revanche, ils ont bien connu le frère du grand père
disparu, Léopold Vassout dit "l'oncle Pol"qui sera célibataire toute
sa vie et qui habitait au 30 rue de Romainville.
La grand-mère Vassout, Joséphine, habitait rue Rouget de
l'Isle. " La grand mère Joséphine
nous racontait que sa belle-mère Héloise Vassout né Campagne (1838-1921) et son
mari Vincent Jean baptiste Vassout (1834-1882) les parents de Léopold et
d'Edouard-Eugène, transportaient à pied les légumes et les fruits dans une
hotte jusqu'aux Halles de Paris”.
Elisabeth Fischer, la grand-mère maternelle, était née en
1872 à Sèvres au relais de Poste. Avant de venir à Romainville pour s'installer
comme cafetier, son mari avait été cocher de fiacre. Après le mariage, la grand-mère
Fischer vint vivre dans la maison de la rue Franklin.
Charles Vassout fut un des premiers cultivateurs de
Montreuil à partir en vacances en 1928. “Ca
faisait scandale ,ces départs à la mer. On partait tous en train. Mes parents
restaient quinze jours et on restait pendant un mois avec la grand-mère
Fischer. J'avais quatre ans, je me rappelle Berck-Plage. A l'époque c'était
réputé, car c'était, paraît-il, bon pour soigner la tuberculose”.
Charles Vassout cultive neuf jardins à Montreuil : les
Hanots, les Néfliers à la Boissière, la rue Saint-Antoine, la rue de Rosny,
Nanteuil, les Ruffins, Tillemont, les Ramenas, et le terrain d'environ 1200
m2,autour de la maison de la rue Franklin. Il fait chaque jour à pied les 2 kms
qui séparaient la maison des jardins les plus éloignés.
"Mon père avait
un rond en crin qu'il mettait sur sa tête pour porter les noguets,parfois chargés
de 35 kg de fruits ou de légumes". Ce n'est que vers 1930 que Charles
Vassout achète une camionnette Unic.
Dans chacun des neuf jardins, il y a une cabane et un puits. Sur les murs, des
pommiers conduits à la diable. Au milieu des carrés, des gobelets de poiriers
et de pommiers dont les branches se croisent et s'emmêlent. Aux pieds des murs,
les costières devaient être impeccables sans un brin d'herbe. Sur le haut des
murs, en-dessous du chaperon, les échalas reçoivent des châssis en fer sur
lesquels on installe des plaques de verre. Le jeune Jean accompagne son père au
jardin et s'amuse parfois à casser ces châssis de verre dont il ne sait pas
très bien s'ils servent à réchauffer les arbres ou à les protéger de la grêle. "Mon père avait son panier à palisser
sur le ventre et le marteau à palisser sur le côté. Il préférait palisser à
l'osier, car c'était plus résistant et demandait moins de travail que les
loques qu'il fallait faire bouillir pour éliminer insectes et maladies. Je ne
me rappelle pas que mon père traitait beaucoup les arbres au Vermorel. Le fléau
numéro un à Montreuil c'était le puceron lanigère. Pour le détruire, on
préparait une solution d'alcool à brûler avec de la nicotine à 90%. La nicotine
c'était le produit miracle. Stockée dans des bonbonnes de verre, il nous était
interdit d'y toucher. Mais dès mes 6 ans j'étais chargé de badigeonner les
pucerons avec un petit pinceau et mon père me donnait deux sous par verre. Parfois,
le verre se renversait accidentellement mais j'avais mes deux sous quand même.
A 10 ans je faisais les traitements au sulfate de cuivre et à l'arséniate de
plomb. C'était payé 10 sous. “Ca me coulait vert de la bouche et ma mère me
disait va te laver avant de manger."
A Montreuil, les Vassout cultivent aussi quelques légumes
(poireaux, haricots verts, rhubarbe, oseille, laurier, thym) et surtout des
fleurs (pivoines, narcisses, lilas, œillets mignardise, roses mousse et roses
pompon de Bourgogne). "Les pompons
de Bourgogne sentaient très bon mais ne se vendaient pas très bien". A
cette époque point de gâchis, on vend tous les fruits, même les tachés. Ils
sont vendus aux Halles dans des fleins. Au 6 rue Franklin, dans la pièce de
l'accommodage où on emballe les fruits, les enfants sont chargés de tarer les
fleins sur la grande balance Roberval. Ils notent sur un papier le poids brut,
la tare, le poids net puis glissent le papier sous l'osier de l'anse. Puis on
charge le flein de 3kgs fruits, quelques tachés au fond puis les tavelés puis
les beaux. Les fleins sont mis dans de grandes panières rectangulaires, dans
lesquelles on glisse des barres de bois pour faire deux rangs de fleins. Sous
la panière deux gros bastaings permettent de la faire glisser sur le bitume du
carreau des Halles. "On avait
toujours peur que les acheteurs vident les fleins. Alors on leur disait : tu me
les ramèneras demain, et parfois ils revenaient en disant , dis-donc ,tes
fruits ils étaient un peu abîmés".
A cette époque, la spécialité de Montreuil ce sont les
pêches. Alors que Charles Vassout est fait prisonnier, Jeanne aide Joséphine à
brosser et à emballer les précieuses pêches avec du coton et du papier, pour la
vente en épicerie ou l'expédition à l'ambassade de Russie. “Notre mère nous racontait qu'elle en avait versé des larmes pour les
pêches de Montreuil. Car en faisant le rond, au moment où on finit la pyramide,
il arrivait qu'une pêche lui échappe des mains et roule par terre, ce qui provoquait
la colère de Joséphine”.
Jean Vassout, n'a pas souvenir de la culture des pêches mais
il se rappelle bien les fameuses Calville et les poires. Car à Montreuil, après
les pêches, les pommes Calville, "c'était
le saint sacrement". Elles étaient conservées dans le noir au
fruitier. On les emballait dans des carrés de ouate en cagettes de 4-5 kg. Puis
elles étaient livrées à la Tour d'Argent, à la rôtisserie périgourdine ou à
l'ambassade de Russie. Elles étaient vendues l'équivalent de 15 euros pièce,
une somme aujourd'hui impensable pour un fruit. Charles Vassout marque les
fruits et le marquage se fait sur Pomme d'api et sur Grand Alexandre.
"Quand il avait plu, on allait chercher les escargots. Ils dégorgeaient
dans du sel pour faire la colle destinée aux marquages des fruits. Je me
rappelle les vignettes de Maurice Chevalier et de la tour Eiffel. On coupait
les vignettes avec des emporte-pièces puis on les collait sur les fruits sur
l'arbre, à la bave d'escargot car cette colle naturelle résistait bien à la
pluie".
Les dernières années
à Montreuil
Aux élections municipales de mai 1935, Montreuil devient la
deuxième ville communiste de France. Charles Vassout était un catholique
converti, baptisé à l'occasion de son mariage. Il était militant paroissial au
conseil curial et rédigeait le bulletin paroissial. Charles Vassout était ami
avec les familles Aubin et Chevalier. Tous ces hommes se voyaient, faisaient banquet
ensemble et se retrouvaient rue de Grenelle à la société nationale d'horticulture
de France. A l'époque la haine entre les cultivateurs et les communistes etait
forte, ils se disaient de droite. "si
de Duclos vous en avez soupé, envoyez-le Aubin". Du haut des murs de
l'usine Monopole qui fabriquait des postes de radio et qui était attenante à la
maison des Vassout, on voyait la nouvelle mairie. La mairie que l'on connaît
aujourd'hui a été reconstruite en février 1935, juste avant le changement de majorité
politique à Montreuil. "Mon père me
hissait sur un mur pour partie éboulé et me demandait : regarde s'ils ont mis
leur torchon sur la mairie". Le torchon en question, c'était le
drapeau de l'Union soviétique.
Une fois par an, au mois de juin pour la fête Dieu, les
familles sortaient de l'école catholique en haut de la rue Pépin, puis
descendaient la rue, chantant en procession jusqu'à l'église. Arrivé en bas, le
cortège était accueilli par une pluie de pierres et d'injures et tout le monde
filait vite se réfugier dans l'église. "Nous,
les enfants, cela nous faisait plutôt rire. Le curé était un peu fou et il y
avait beaucoup de provocation de part et d'autre. Il faut dire que la
permanence du parti communiste était en face de l'église". Cette haine
a accéléré le départ de Montreuil, car Jeanne avait peur qu'un jour il arrive
quelque chose de grave.
Jean Vassout n'aimait
pas l'école, il préférait être avec son père au jardin. Si bien que son père
lui avait fait fabriquer alors qu'il était encore tout jeune. "Mes parents avait une employée
alsacienne très forte et très costaude. J'étais son p'tit Jean. Elle me tirait
par le bras pour m'emmener à l'école et je hurlais sur la route". Pour
Charles Vassout, il était hors de question d'inscrire ses enfants à l'école
publique. Jean Vassout aimait tellement l'école qu'il en usa une par an. Il alla
d'abord à l'école catholique de la rue Pépin, puis à Vincennes. Sur le chemin
de Vincennes, Jean se rappelle, le matin, les allumeurs de becs de gaz avec
leur grande perche. Puis en 1936 comme ça se passait mal à Vincennes il fut mis
en pension à Versailles. "Pour
partir de Versailles, j'ai fait croire à ma mère que les ouvriers voulaient
prendre l'école et je ne suis plus jamais retourné dans aucune école.".
Face à la mairie, il y avait un studio photos. Ce studio avait appartenu à
Méliès, ce génie qui a fini sa vie en vendant des jouets à la gare
Montparnasse. Pour sa communion, le 7 mai 1937, Jean Vassout a été pris en
photo dans ce studio. Dans la famille Vassout, il se dit que les premières
serres qui servirent de studio à Méliès appartenaient à la famille.
L'installation de
Charles Vassout à Gambais
C'est Charles Vassout qui décida qu'il était temps de
partir, pour plusieurs raisons. Le travail sur toutes ces petites parcelles,
éloignées les unes des autres, engendrait trop de perte de temps et il fallait
trouver un grand terrain, ce qui était impossible à Montreuil. Les
expropriations commençaient et il venait d'être exproprié de trois jardins, qui
deviendront stade, école et route. Le climat social et politique local n'était
plus guère favorable aux cultivateurs. Les derniers terrains Vassout de
Montreuil seront vendus avant la seconde guerre mondiale. Charles Vassout et sa
femme se mirent donc en quête d'un terrain de cinq à six hectares d'un seul
tenant. C'est à Gambais en Seine-et-Oise (actuellement les Yvelines)en 1926
qu'ils trouvèrent une ferme à vendre avec deux hectares de bois et quatre
hectares de prés. Il achetèrent ce terrain car il était situé au sud, en
contrebas de la butte de Bazainville, protégé du nord et donc du gel. Pendant
dix ans Charles Vassout va cultiver Montreuil et Gambais pour préparer le
départ. Un travail de titan qui fut une véritable épopée, un pari sur l'avenir.
A Gambais, il fait retourner la terre par un cultivateur
local. Les gens du coin n'étaient pas tendres avec ces nouveaux venus et ils
lui disaient, en le voyant faire, qu'ici on n'avait jamais vu aucun fruit
pousser. “On était des horsains pour les
gens de Gambais des parisiens quoi”.
Le sol très sablonneux est argileux à 60 cm de profondeur,
et il va falloir drainer les parcelles en faisant des tranchées, aidé par des
ouvriers polonais pour poser les drains en terre cuite. Sinon, tous les arbres auraient
baigné dans l'eau et se seraient asphyxiés. Puis il arrache à la main les deux
hectares de bois. Il va à Gambais trois jours par semaine, y travaille jusqu'à
la nuit et rentre pour les enfants et pour faire la vente aux Halles. Jean est
parfois du voyage à l'arrière de la camionnette, car, contrairement à son frère
Louis, il ne va pas à l'école. Un ouvrier est aussi du voyage et est chargé de
dire si quelqu'un cherche à doubler. "On
mettait deux heures et demie pour aller à Gambais. On passait les octrois de
Paris et Versailles. Sur place au début, il n'y avait pas d'eau ni
d'électricité. Il y avait l'eau du puits et la lampe à pétrole, c'est tout".
Charles Vassout plante en contre espaliers les variétés traditionnelles de
pommes de Montreuil, des Canada blanc, des grand Alexandre et des Calville et
plante en gobelets et des Passe-crassane, des Comice.. Il Réserve une parcelle
pour les légumes et plante un hectare de pivoines.
"La Calville de
Gambais était bonne mais sa couleur était très laide à cause de la nature
sablonneuse du terrain, alors on a arrêté la Calville qui était invendable".
Jean Vassout a 12 ans quand la famille quitte définitivement
Montreuil en 1937. Jean Vassout ne va plus à l'école mais il a une préceptrice.
Il étudie chez elle de 10h à 12h et rentre à la maison faire ses devoirs afin
de repartir au plus vite dans les champs. Il réussit à avoir son certificat
d'étude le 8 juin 1939 puis arrête les études pour se consacrer à sa passion
auprès de son père. " quand il est arrivé à Gambais, mon frère Louis me
disait “tu verras un jour je serai maire
de la ville et je ferai venir le métro”. Louis Vassout est effectivement
devenu maire de Gambais pendant 36 ans de 1953 à 1989. Si il n'a pas fait venir
le métro, il a notamment mis en place un réseau de bus pour prendre les enfants
dans les 21 hameaux de Gambais et bien d’autres équipements collectifs pour ses
citoyens.
Les innovations
Pour retourner le terrain de Gambais, Charles Vassout
utilise une charrue Magnier Bedu. A l'avant, ce sont les enfants qui tirent et,
derrière, le père dirige. Pour le pulvérisateur c'est le même type d’attelage
familial qui fonctionne. A la différence près que lorsque la terre est grasse,
le pulvérisateur Vermorel de 50 litres s'enfonce dans la boue et c'est très dur
d'avancer dans ces conditions à cause des roues en acier.
Conscient de ces difficultés, Charles Vassout cherche à
innover. Ces conditions de travail ne peuvent plus durer. Avec un artisan de
Puteaux assez ingénieux, Charles Vassout va concevoir en 1933 son premier
motoculteur avec un moteur Renault, des roues crantées et des dents de
canadien. Dans la continuité, en 1935, il lui fera fabriquer un pulvérisateur
avec une tonne à eau montée sur une B2 Citroën, un compresseur Bavox de 4
chevaux posé à côté du chauffeur. "On
avait coupé l'arbre et on débrayait pour avancer ou pour comprimer la cuve. Le
gars de Puteaux avait fabriqué des lances spéciales avec un tube alu de 30
mm. Un tuyau amenait l'eau et un autre
la bouillie de traitement" Beaucoup de gens sont venus voir le
système. Quelques années plus tard, Charles achète son premier pulvérisateur
Guinard et le prototype de pulvérisateur a été modifié pour l'engraissement des
arbres. “Pour le binage on a évidemment
d'abord biné à la main. On binait les dix hectares trois fois par an. Enfin on
a acheté une bineuse rotative. Le père ne voulait pas qu'on laisse de déchets
sur le sol comme le bois de taille, car il avait peur du pourridié alors on
brûlait le bois sur place”.
“Le sol de Gambais
c'était du 0+0+0, un sol complètement mort qu'il a fallu engraisser à 4/8/8.
Heureusement est arrivé le système PAL de M. Glenzer” (4/8/8 donne la
proportion en Kg d’engrais pur N-P-K
N=azote P= Phosphore, K= Potassium). Le PAL est une sorte de grosse seringue
qui permet d'injecter dans le sol de l'engrais soluble au plus proche des
racines de l'arbre. Ce principe d'engraissement utilisé à Montreuil dès la fin
du XIXe siècle sera considérablement amélioré par M. Glenzer. Patiemment, durant plusieurs années, à raison
de quatre piqûres par arbre trois fois par an, le verger de Gambais sera
enrichi avec des engrais solubles à 4/12/38 spécialement préparés, à
concentration de 200 kgs pour 1000 litres, pour chaque période de l'année : au
printemps pour le démarrage et la nouaison, en été pour favoriser le
grossissement et la teneur en sucre des fruits, en septembre pour préparer les
bourgeons à venir. De plus, tous les deux ans un épandage de purin et de fumier
de ferme complètera le dispositif. Le système PAL était un bon système mais
trop lourd en main d'œuvre et l'entreprise de M. Glenzer déposa le bilan. “Après on a continué en adaptant le système,
en modifiant une dent de Canadien de la charrue. Cela permettait d'engraisser
plus rapidement en passant avec le tracteur. C'était plus rapide mais moins
précis car, par arbre, on adaptait le dosage à chaque sujet. Les arbres étaient
superbes, couverts de bourgeons".
Jean Vassout est un partisan du déséquilibre par
l'engraissement pour la mise à fruits. " L'injection d'une solution de
chlorure de potassium favorise la mise à fruits. Je faisais beaucoup d'essais
pour voir comment les arbres
réagissaient, et cela me plaisait beaucoup."
La principale difficulté à Gambais c'etait les cochenilles, que l'on traitait à
l'huile blanche et surtout l'anthonome du poirier. L'arrivée du DDT en 1947 a
apporté la solution à ce fléau".
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Les Halles, place St Eustache
vers 1950
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Premiers travaux à Gambais
en 1928
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traitement des poiriers à la lance
en 1950
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Roger sur les genoux de son père Louis, en bas Charles,
à droite Jean et un ouvrier
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Pommes Grand Alexandre étalées pour favoriser la coloration
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Cueillette vers 1950
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Roger à 7 ans, en 1952, avec sa mère
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Ensachage et
coloration
“On ensachait les
Passe-crassane, les Comice et Beurré Hardy, mais pas les pommes”.
L'ensachage dure environ un mois et occupe une quinzaine de saisonniers chaque
année. Chaque personne pose plus de deux mille sacs par jour.
La pose des sacs coûtait 1 franc du kilo, et les fruits ensachés
étaient vendus 1,50 franc de plus que les autres. "Chaque année on posait un million de sacs qui était préparés
l'hiver. Ca permettait de gagner mieux. On aurait pu dire que c'était
bio." A Gambais, le marquage des fruits est vite abandonné. Par contre les
pommes Grand Alexandre sont spécialement choyées, pour finalement obtenir 99%
de fruits bien colorés . Vers le 15 août, après avoir cueilli les Grand
Alexandre, on les étalait sur des cagettes. Puis on les recouvrait avec du bacula
pendant 48h avant de les exposer en journée, car la nuit elles restaient
protégées du fameux coup de lune”. Les pommes ainsi exposées se coloraient en
onze jours. S’il faisait trop chaud, elles étaient arrosées pour en faire
baisser la température. "On les
vendait notamment chez Couté, boulevard Raspail".
Les Halles de Paris
Dès 1930, Charles Vassout loue un espace aux frigos de Bercy
qui se trouvent en sous-sol sur les bords de Seine. Des frigos existent aussi
aux Halles de Paris, mais Charles Vassout les juge de mauvaise qualité. Avec
son frère Louis, Jean emballe en caisses de 60 kgs fermées par un couvercle
cloué. Les fruits sont protégés par de la "copillette", de la fibre
de papier de soie coupée en lamelles. Pour transporter les fruits par
chargement de 5 tonnes de Gambais à Bercy, ils prennent un transporteur. "Ces frigos, j'en ai encore l'odeur
dans le nez. On amenait les fruits jusqu'au quai de déchargement, les ripeurs
nous aidaient à les mettre en chambre, tout à la main, caisse par caisse, car
il n'y avait pas de transpalette à l'époque et puis on payait au m3 et au
mois". Avant la vente, il faut aller chercher les fruits aux frigos de
Bercy pour les remettre au fruitier à Gambais pendant 10 à 12 jours. "On faisait trois tris, on les triait
par maturité et on en déclassait. J'avais calculé que chaque fruit nous passait
sept fois dans les mains (éclaircissage, ensachage, cueillette, calibrage, tri,
emballage, vente). On vendait des fruits bons à consommer sous 48h".
Pour aller aux Halles, Jean Vassout part de Gambais à 21 heures et arrive à 22h-22h30 boulevard de Sébastopol
; et là, il lui faut encore deux heures au pas pour arriver au déchargement,
tellement cela bouchonne. Les forts traçaient à la craie par terre des
emplacements de trois ou quatre rangs (un rang est égal à un colis sur six mètres).
Le samedi comme il y avait beaucoup plus de monde, ils donnaient le plus
souvent seulement trois rangs. Les forts avaient un grand chapeau. "Ils devaient pouvoir porter 120kg sur
six mètres pour devenir “Fort des halles”, mais après, en réalité, ils ne
faisaient que tracer à la craie et c'étaient surtout des étudiants ou des S.D.F
payés par les forts qui faisaient le déchargement. Nous, on donnait un petit
pourboire aux étudiants ". La vente démarrait à 1h00, jusqu'à 9h00. Les
principaux clients c'était d'abord les marchandes de quatre saisons. “ Le
matin, la marchande de la rue Lepic prenait quinze colis de poires en plateau
et huit caisses de 25kg de Canada blanc”. Puis Jean repartait vers Gambais
où il arrivait vers midi pour préparer le lendemain. "On dormait une nuit sur deux. On travaillait 70h la semaine. Les
Halles c'était une ambiance exceptionnelle. Des nuits entières parfois sous la
pluie ou à -12° avec les braseros. On était parfois tellement fatigués qu'on
n'arrivait plus à faire les factures et au retour le camion se souvient encore
des trottoirs". Au retour, Jean Vassout et son ouvrier s'endorment au
feu rouge, ils se font réveiller par les klaxons. Malgré cette ambiance inoubliable, Jean et
son frère ont tout fait pour éviter les mandataires, afin de mieux vendre les
fruits. Il faut dire qu'à Gambais, les deux frères ont treize enfants à
nourrir. "On a tout essayé pour
mieux vendre nos fruits et même le porte àporte". Ils partent le matin
et arpentent les rues de Paris pour vendre en direct leurs fruits et légumes
aux détaillants. L'autre moyen de vente, c'était les marchés de Versailles,
Boulogne-Billancourt et Ram-bouillet. "On
vendait le second choix de légumes au marché, comme les patates par 50kgs.
Quand on vendait les patates avec mon père, j'entends encore : le petit jeune
homme, il pourra venir me livrer ?.. et j'arrivais en haut de l'immeuble
exténué, mais j'avais un sou."
Vers 1945, les frères décident de retourner aux Halles car il n’y avait pas
assez de débit avec la vente directe. Il faut alors acheter des colis et faire
un emballage plus soigné, car au marché ils ne vendaient qu'en caisses. Au
début, ils se retrouvent à Saint-Eustache avec les maraîchers qui leur
réservent un accueil glacial. Puis ils rejoignent le Carreau de Montreuil rue
Pierre Lescot et rue Rambuteau. "On y a retrouvé les familles Grosdidier,
Gardeblé. Mais vers 1955, il n'y avait quasiment plus de fruits de Montreuil à
vendre aux Halles mais par contre beaucoup de fleurs”.
La guerre
Pendant la guerre, Charles Vassout ne voulait pas faire de
marché noir. Il fait alors un peu d'élevage pour la famille avec des veaux et
des vaches et produit des haricots verts sur un hectare. Pendant cette triste
période, c'était assez facile de vendre. Les acheteurs viennent directement à
Gambais. Les récoltes sont vendues au prix de détail officiel des mercuriales. "Après, ils faisaient leur
"gratte" dessus. Des coopératives venaient aussi acheter des haricots
verts. En contrepartie on nous donnait du carburant." Malgré tout,
Charles Vassout et ses fils font les marchés de Versailles et
Boulogne-Billancourt. "On était tout
seuls sur ce marché de Boulogne-Billancourt avec notre diplôme de
ravitaillement de la commune. Près de 800 personnes faisaient la queue pour les
rutabagas, les haricots verts, les pommes de terre. C'était 1 kg maximum par
personne. La police surveillait la vente. Car lorsqu'il ne restait plus que
quelques kilos, les gens se battaient pour ce qu'il restait et on ne pouvait
rien y faire. Le prix était le prix officiel de détail. Comme on avait une
camionnette, on avait été réquisitionnés pour transporter les blessés au point
de la Croix-rouge et on avait un ausweis sur le pare-brise. En 1942 l'usine
Renault de Boulogne Billancourt est bombardée et des bombes tombent sur le
marché. On a tous failli être tués ce jour-là et on doit notre survie à une
table de poissonnier sous laquelle on
s'est protégés." Quand Jean et son père Charles quittent le dessous de
la table, les immeubles sont écroulés, et autour d'eux ce sont des pleurs pour
les morts et les blessés. Miraculés, ils ne reviendront plus jamais à Boulogne.
Après la guerre, Charles a voulu revenir sur ce marché mais la mairie de
Boulogne donnait ses places de marché contre l'adhésion au parti communiste. "Vu le passé de Montreuil, mon père
court encore et on n'est plus jamais retournés à Boulogne-Billancourt".
C'est lors du mariage de Louis avec
Cécile Vassaux le 6 août 1942, que Jean rencontre celle qui deviendra sa femme
: Jeanne Vassaux, la sœur de sa belle-sœur. Mais Jean part au service militaire
en novembre 1946 et il leur faut attendre son retour, en octobre 1947, pour se
marier. Ils se marieront le 22 novembre 1947, après la fin de la cueillette,
prioritaire ! De ce mariage naissent six enfants. Les deux sœurs Vassaux sont
issues d'une famille de cultivateurs de Normandie venue s'installer à Paris
pour tenir un café.
A cette période, Charles Vassout achète un cheval pour
tracter la charrue et le pulvérisateur. Lors des traitements d'hiver, le pauvre
cheval se retrouvait tout jaune à cause de l'huile jaune. Il restait ainsi
jusqu'à ce que son poil repousse, ce qui lui conférait un certain succès en
ville !
La transmission
C'est juste après-guerre, en 1945, que Louis Vassout reprend
officiellement l'exploitation et s'associe avec son frère Jean. Les terrains
sont loués au père. Ce mode de transmission assure ainsi une sorte de retraite
pour les parents. Tous les deux ans, les deux frères rachètent un hectare. "Petit à petit on a racheté les douze
hectares de terres". Ainsi Charles Vassout a pu acheter une nouvelle
maison pour sa retraite. Louis Vassout arrête l'exploitation des terres en 1950
pour travailler chez Standard Oil (Esso) dans la vente de produits chimiques
agricoles. Jean aide son frère Louis et stocke des produits chimiques pour
Esso, mais livre aussi les produits pour le traitement des grandes cultures. "J'allais à Ivry chercher trois à
quatre tonnes de produits en petits cartons de 25 kg" Ce travail
rémunérateur permet à Jean et Louis d'investir en 1954 dans leur première
chambre froide de 30 tonnes. Ils en installeront une autre en 1957, l'année
maudite…
Le gel de 1957 à
Gambais
La protection des vergers adossés à une butte est un leurre
des anciens. Les 7-8-9 avril 1957, la température descend à -8°. Jean et Louis
Vassout perdent tout. "Pour lutter
contre le gel, on a brûlé près de cent tonnes de pneus. On allait dans les
garages en chercher. On a bouché les routes avec ça, mais les habitants nous
soutenaient. Quant à la pollution, cela ne souciait personne…on a brûlé des
arbres, mais on n’a pas sauvé les fleurs." Après avoir tout tenté, il
faut se rendre à l'évidence : la récolte est définitivement perdue. Alors il a
fallu sauver le travail des ouvriers. Car à l'époque l’exploitation employait
quatre ouvriers toute l'année et de nombreux saisonniers pendant les deux mois
de récolte et d'emballage. Ils étaient nourris, logés et blanchis. Ils
mangeaient alternativement chez Jean ou chez Louis. Tout le monde travaille
durement 9 h par jour en moyenne et 11h pendant la récolte, et parfois même le
dimanche. Cette présence quotidienne aux côtés de la famille crée un
attachement. C'est Jeanne et Cécile Vassout qui s'occupent d'eux avec une aide
ménagère. Chaque jour il faut préparer le petit-déjeuner et les repas à table
pour la famille et les ouvriers. Chaque année, la famille fait rentrer deux
tonnes de pommes de terre pour nourrir tous le monde pendant la saison.
Pour maintenir les emplois en 1957, les frères Vassout
placent les ouvriers dans d'autres fermes et même jusqu'en Beauce. Puis il
profite de ses connaissances pour repeindre des écoles privées catholiques ou
des presbytères. Il font aussi des boudins de frisure d'avance pour l'emballage
en plateau et mille petits boulots qui ont sauvé l'exploitation de la faillite.
Par la suite pour lutter contre le gel, Jean et Louis achètent 3000 braseros,
pour en disposer 250 à l'hectare. Ce sont des tonnes de fuel qui brûlent. Huit
thermomètres surveillent le verger et quand le thermomètre sonne, la nuit est
perdue. "Il fallait se lever vite
pour aller allumer les braseros et protéger les récoltes. La nuit, les écarts
thermiques sont très brutaux. La température peut descendre de 2° au passage
d'un nuage. La nuit, la vie des arbres est réellement perceptible. On voit les
fleurs qui luttent contre le gel, elles bougent la nuit, puis tout à coup la
fleur tombe, elle abandonne la lutte pour la vie. Le gel et la grêle sont
vraiment les deux plus gros fléaux des arboriculteurs".
La création de “Vassout
Fruits”
Rue Pierre Lescot se trouvait un commissionnaire en produits
de luxe qui vendait bien les fruits de Gambais. C'est lui qui, pour la première
fois, suggère aux deux frères Vassout de créer une marque pour leurs fruits.
Alors, quand les supermarchés Casino de Messieurs Guichard
et Chatenais achètent des fruits pour leurs magasins de Clichy, Saint-Denis et
Levallois, tous les fruits sont étiquetés avec la marque "Vassout-Fruits".
Pendant dix ans ils travailleront avec Casino, vendant des fruits dans de
jolies barquettes personnalisées, installant ainsi la marque familiale.
Né en 1945, Roger est
l’ainé des fils des deux familles. Ce neveu de Jean travaille avec lui à partir
de 1962, dès l'âge de 16 ans. Louis Vassout s’éloigne de l’exploitation car il
est, très pris par ses nouvelles missions d'élu. Il se présente aux élections
et est élu maire de Gambais pour de nombreuses années.
En 1970, Roger succède à son père en tant qu'associé dans
l'exploitation.
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INTERVIEW DE ROGER VASSOUT
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Filets paragrêle sur le verger de Perdreauville à Gambais
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Roger Vassout est né dans la demeure familiale de Gambais,
la ferme Sainte-Thérèse. Il faisait froid en ce 5 février 1945 et c'est par
moins 20 degrés que le médecin est arrivé en vélo de Dourdan. Roger est le fils
de Louis Vassout et de Cécile Vassaux. Il est le deuxième d'une famille de 7
enfants et le premier garçon. Dans la cour de la ferme, c'est une quinzaine
d'enfants qui jouent. Dès l’enfance,
Roger prend plaisir à aider son père aux petits travaux de l'exploitation. De
tous les enfants des deux familles, il est le plus passionné par le métier de
son père et de son oncle. Ses sœurs s'orientent vers des études. Il va à
l'école communale de Gambais puis à l'école catholique. “Dans la famille on était très croyant, les garçons allaient à l'école
Saint-Christophe à Houdan et les filles à l'école Jeanne d'Arc. Mais l'école,
ce n'était pas mon fort ; je suis plutôt du genre bac moins 5 !” Roger
passe quand même son brevet élémentaire en 1960 et dès le mois de juillet, il
est employé à l'exploitation. Il a 15 ans. Le père, Louis Vassout, a 41 ans et
sa vie professionnelle est partagée entre la ferme et son nouveau travail chez
Esso où il vend les premiers produits phytosanitaires en France. Le jeune Roger
n'a pas de régime de faveur et il participe à tous les travaux, comme les
ouvriers. Les travaux sont durs. Les plus longs et les plus pénibles sont le
désherbage, l'épandage de fumier, les traitements. Pour traiter un hectare, il
faut deux jours avec le tracteur ou bien trois jours avec le cheval. “ on ne laissait pas les vergers enherbés ;
il fallait absolument désherber, et à la main, car il n'y avait pas de produit.
Entre les rangs, on passait la charrue pour aérer le sol. On épandait du fumier
de poule très riche en acide phosphorique. Et puis on pratiquait les piqûres
d'engrais soluble au PAL, dans lesquels on rajoutait du purin.” Ce qui
plaît le plus au jeune Roger, c'est tout ce qui concerne la vente. “Ce qui me passionnait c'était la présentation,
la conservation et la vente surtout. C'était quelque chose, l'ambiance au
ventre de Paris”. Roger part aux Halles avec son oncle Jean et parfois avec
son père. Roger se forme "sur le tas". Mais il lit aussi les revues
professionnelles, telles que l'Arboriculture fruitière ou Phytoma. Il découvre
alors d'autres techniques. En famille, on évoque parfois Montreuil avec le
grand-père Charles mais sans nostalgie. On parle de technique. “Petit, je ne me rappelle pas être allé à
Montreuil. Il semble que la famille n'avait pas de liens avec d'autres
familles, qui auraient justifié d'y retourner. J'ai connu mon grand-père
jusqu'à sa mort en 1961. Quand mon père est arrivé à Gambais, il a dit : un
jour, je serai maire de la ville…et il est devenu maire en 1959”.
Louis Vassout avait une vision noble de la politique, une
envie d'agir pour le bien de tous. D’abord conseiller municipal en 1953, il se
présente en 1959 sans étiquette politique, bien que plutôt de centre droit.
Toute la famille soutien sa candidature et participe au collage des affiches,
aux réunions publiques. Il sera maire pendant 30 ans jusqu’en 1989. Il
deviendra conseiller général et participera au développement du canton de
Houdan. “Mon père avait une grande force
de travail et était très organisé. Il menait de front son mandat de maire, de
conseiller général, d'employé chez ESSO et le suivi de l'exploitation. Malgré
cette activité intense, on partait chaque année en vacances et c'était très
important pour lui. On partait le plus souvent dans les Pyrénées, à Saint-Jean
de Luz l'été et à la montagne l'hiver ”. Pendant le week-end, une famille
de Montrouge vient profiter de sa maison de campagne de Gambais. Sylvie, la
fille de la famille, rencontre les jeunes hommes de Gambais. Et voilà... Roger
épousera Sylvie en 1966. Stéphanie, la fille du jeune couple, naîtra en 1968
puis ce sera Fabien, le garçon et dernier enfant de la famille.
En 1973, Roger
reprend les parts de son père dans l'exploitation et devient l'associé de son
oncle Jean Vassout jusqu'en 1981. Roger a 28 ans et Jean 41. L’écart d'âge
entre les deux hommes est propice aux discussions sur les méthodes de travail.
En 1981, Roger rachète tout le matériel et loue les terres. Il devient alors le
successeur de l'aventure familiale. A partir de 1981, il renouvelle cinq
hectares de pommiers afin de diversifier les variétés. En effet, ce sont encore
les variétés de Montreuil qui priment à Gambais : la Canada blanc et la Grand
Alexandre. Il plante Golden, Melrose, Delbard Estival, Early Red One, Jonagored
et Jubilé. Quatre hectares de poiriers ravagés par le feu bactérien seront
aussi renouvelés. Roger arrête la lutte contre le gel avec les 2 500 braseros,
qu’il juge trop coûteux en temps et en carburant par rapport à l'effet produit.
Il cesse aussi de désherber les plantations et de labourer. Désormais les
vergers sont entièrement enherbés. Il remplace l'arrosage à lance par le goutte
à goutte. Il abandonne l'engraissement par PAL injecteur. Il complète sa
connaissance du verger par des analyses de feuilles et de fruits. Il engraisse
désormais beaucoup moins, uniquement en surface et fait des apports
d'oligo-éléments en foliaire. Ces nouvelles techniques sont aussi impulsées par
le Cercle interprofessionnel des arboriculteurs d'Île-de-France qui vient de se
créer et auquel Roger adhère en 1982. Cela lui permet d'échanger avec d’autres
arboriculteurs. Les temps changent, de nouvelles variétés apparaissent, des
techniques nouvelles qui sont le résultat d'une meilleure connaissance des
arbres et des sols.
En 1969, c'est aussi toute la distribution des fruits qui
est bouleversée par le déménagement à Rungis. Avec ses nouvelles variétés de
pommes, Roger triple vite la surface de vente à Rungis. Il emporte des
éclairages pour mettre en valeur ses emballages qu'il soigne particulièrement. Étiquettes
et papier de soie créent un écrin pour chaque fruit et seront la marque de
fabrique Vassout. “Déjà tout petit, je
rêvais d'une esthétique et d'une présentation nouvelle. J'aime la musique, la
peinture, l'architecture, l'art en général et tout ce qui est beau. J'avais
envie d'avoir un "beau" stand à Rungis où les gens admireraient mes
fruits”. Cette démarche nouvelle s'accompagne aussi d'une revalorisation
des prix et Roger vend plus cher que tout le monde. Il est alors le plus jeune
producteur du carreau de Rungis. L'entreprise familiale change de statut
juridique et devient l'EARL "Vassout Fruits". Sylvie, la femme de
Roger, abandonne son travail de chercheur à Saclais pour s'occuper de l'administration
de l'exploitation. Les affaires marchent bien et Roger doit agrandir la station
de stockage et de conditionnement. “La
ferme Sainte-Thérèse devenait trop exiguë et inadaptée à l'utilisation de
chariots élévateurs. Les frigos que nous avions construits avec Jean en 1953
était devenus obsolètes.” La ferme familiale est vendue pour financer une partie des
investissements. Roger croit en l'avenir, il décide d'aller de l'avant et
investit. A Gambais, il est locataire des terres familiales et il sait qu'un
jour les cousins et ses sœurs et frères reprendront naturellement le patrimoine
familial. Alors, il lui faut acheter des terres. “J'ai fait le pari de la poire Comice. Pour avoir une bonne Comice, il
faut des arbres d'au moins quarante ans. J'ai donc cherché un ancien verger.
J'étais ami avec M. Marchand de Cheptainville. On s'entendait bien. Lorsqu'il a
décidé de se retirer du métier, il m'a vendu. Il faut dire que j'étais le seul
repreneur. Ce verger est un verger d’exception, il fut, dans les années
soixante, le plus grand verger de France et quand je l'ai acheté, il faisait
encore trente hectares. A Gambais, sur les 17 hectares j'ai racheté 7
hectares.” Cheptainville est un verger idéal, il y fait toujours 2 à 3
degrés de plus qu'à Gambais à altitude égale et de mémoire d'arboriculteur il
n'a jamais gelé sur la partie haute. Sur la partie basse, une gelée tous les
trois ans en moyenne. Étant donné les investissements, la situation financière
de l'exploitation est tendue. Roger est assuré contre la grêle. En 2003, il
décide alors de s'équiper de filets sur Cheptainville et Gambais et par
conséquent de ne plus souscrire d'assurance grêle. Sur la partie basse de
Cheptainville, il s'équipe de tours antigel. “Je suis en train d'étudier la mise en place de films réfléchissants
pour compenser la légère perte de coloration due au filet paragrêle"
Aujourd'hui, Vassout Fruits c'est 1,5 million d’euros de
chiffre d'affaires, 7 salariés permanents, 7 salariés 6 mois de l'année, 7
saisonniers sur 3 mois pour le calibrage, plus tous les saisonniers de la
cueillette. C'est 300 tonnes de pommes et 500 tonnes de poires, des Williams,
des Passe Crassane, des Comice, des Beurré-Hardy exceptionnelles qui font la
renommée de Vassout sur le carreau. Mais aujourd'hui l'arboriculture française
est en crise et en Île-de-France la situation est dramatique. Roger Vassout a
la chance de ne pas être autant touché que ses collègues par la crise. En 2004,
Fabien, le fils de Roger reprend l'exploitation et devient le gérant de Vassout
Fruits. Il emprunte pour racheter la moitié des parts de l'entreprise et devient
à son tour, comme son père avant lui, le plus jeune arboriculteur du carreau de
Rungis. Sur fond de crise, Roger Vassout reste optimiste. “Il y a toujours eu des périodes dures, comme pendant les périodes de
forte inflation. Et puis ces périodes pré-électorales sont toujours des moments
où les gens achètent peu. Mais pour moi, il y aura toujours de la place pour du
bon fruit de qualité. C'est moins dur pour nous que pour d'autres, mais il ne
faut pas se reposer sur nos lauriers. Dans la vie, si tu penses que tu es
arrivé, c'est la fin. Avec leurs certitudes, beaucoup ont hélas disparu.”
La situation nouvelle pour les arboriculteurs, c'est la
concurrence de l'hémisphère sud qui ne se limite plus aux seuls mois d'été, et
aussi les importations des pays de l'Est et de la Chine. “Moi, je suis un optimiste. Nos limites sont dans nos esprits et si on
y croit on y arrive toujours. Je suis un battant comme mon père.”
Roger est grand-père d'un petit Mathis, fils de Fabien et de
Carine. La famille Vassout est aujourd'hui la plus ancienne famille
d'arboriculteurs d'Île-de-France. “Je
suis assez fier de la longévité de notre famille. Mais malgré tout, on est
assez peu matérialiste et conservateur dans la famille. Ce qu'il me reste du
passé? Ce sont ces quelques photos dans mon bureau et puis mes souvenirs.
Jusqu'à présent, chaque premier garçon a continué la lignée, alors peut-être
que Mathis sera le prochain, j'y pense, bien sûr, mais son avenir lui
appartient”.
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